En Livradois-Forez, une nouvelle espèce sort de l’ombre

Mis en lumière en 2019 par les travaux d’Henri Persat, l’Ombre d’Auvergne est un salmonidé présent dans des rivières fraîches et bien oxygénées en amont du bassin de la Loire. Excellent bio-indicateur, il fait face à de nombreuses pressions environnementales menaçant sa survie.

Mots-clés : ombre d’auvergne, espèce, rivière

En 2019, les travaux d’Henri Persat, spécialiste français de l’Ombre commun et chercheur en ichtyologie (science des poissons), prouvent l’existence d’une nouvelle espèce : l’Ombre d’Auvergne (Thymallus ligericus). Fondée sur une méthode d’analyse génétique, son étude confirme des observations de terrain ayant relevé des différences morphologiques entre les poissons du bassin ligérien et ceux des vallées du Rhône ou du Rhin, qui appartenaient officiellement tous à la même espèce, l’Ombre commun (Thymallus thymallus).

L’Ombre commun est un poisson de la famille des salmonidés, tout comme la Truite fario et le Saumon Atlantique. Comme eux, il est bien connu des pêcheurs, notamment des pêcheurs à la mouche. Cette espèce est naturellement présente en Europe, du Massif central jusqu’en Scandinavie. Les populations de cette espèce ont fortement régressé en Europe de l’Ouest depuis la fin des années 90. Mentionné à l’annexe III de la convention de Berne, l’Ombre commun est considéré comme peu menacé par l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) à l’échelle européenne. En revanche, il est classé comme vulnérable à l’échelle de la France et inscrit à l’annexe V de directive habitat faune / flore de 1992.

Portrait d’un poisson longtemps resté incognito

Peu de choses différencient l’Ombre d’Auvergne de son cousin, l’Ombre commun (Thymallus thymallus). L’Ombre d’Auvergne présente en effet une robe avec un plus grand nombre de points noirs ainsi qu’une bouche de forme différente. Parmi les habitants des cours d’eau, les ombres sont facilement reconnaissables à leur grande nageoire dorsale, qui présente des couleurs vives splendides. Cette nageoire prend communément le nom d’étendard.

Ombre d’Auvergne © Fédération de pêche du Cantal

Une présence discrète, indice de la bonne santé des cours d’eau

L’Ombre d’Auvergne est présent uniquement sur les zones amont du bassin de la Loire, seulement sur quelques rivières comme l’Alagnon, la Loire amont, l’Allier, la Sioule et, sur le territoire du Parc, sur la Dore et sur l’Ance. Il occupe de préférence les rivières fraîches et bien oxygénées. Il est très sensible à la qualité de l’eau. Comme la Truite fario et la Moule perlière, il est un très bon bio-indicateur, c’est-à-dire que sa présence dans un cours d’eau est un témoin de sa bonne santé. En revanche, contrairement à la Truite fario, il ne peut pas coloniser les parties les plus à l’amont des bassins-versants. En effet, il n’affectionne guère les trop faibles débits ainsi que les lits uniquement constitués de blocs rocheux. Notamment, les juvéniles ont besoin de zones de radiers ou plats courants avec un lit caillouteux, graveleux ou sablo-graveleux pour se développer.

Des pressions environnementales menaçant l’Ombre d’Auvergne

Aujourd’hui, l’avenir de ce salmonidé est de plus en plus menacé. De nombreuses pressions environnementales pèsent sur cette espèce et sur les cours d’eau de manière générale. Les pressions les plus impactantes pour l’Ombre d’Auvergne sont les modifications hydromorphologiques des cours d’eau comme les obstacles à la continuité écologique ou les modifications du régime hydro-sédimentaire (1). Le dérèglement climatique joue déjà un rôle majeur dans les phénomènes d’étiage et l’augmentation des températures de l’eau, amenés à s’intensifier dans les années à venir. Ces impacts peuvent, par exemple, être limités par :

  • la restauration des zones humides, qui limite la baisse des débits des rivières,
  • la reconquête de la continuité écologique, qui facilite l’accès à l’amont plus frais
  • la préservation des forêts de berge, qui permet de limiter l’échauffement des eaux.

Ce poisson mythique de nos rivières, à la nageoire fantasque, a toute sa place sous le feu des projecteurs. Du fait de sa sensibilité et de son aire de répartition restreinte, cette espèce appelle une attention particulière pour sa préservation, si on souhaite continuer de la voir s’épanouir dans les cours d’eau auvergnats.

Pour aller plus loin : H.Persat, S.Weiss, E.Froufe, S.P. Giulia, G. P.J. Denys, « A third European species of grayling (Actinopterygii, Salmonidae), endemic to the Loire River basin (France), Thymallus ligericus n. sp. », Revue Internationale d’Ichtyologie, 2019.

(1). Le régime hydro-sédimentaire est la façon dont l’eau et les sédiments circulent ensemble dans le lit d’une rivière au cours du temps. Les modifications de ce régime peuvent se traduire par un enfoncement du lit du cours d’eau, un colmatage du lit, un déplacement trop important du sédiment, une proportion vase/sable/gravier/pierres modifiée, etc.